Le phénomène Hikikomori : Quand le repli social devient extrême – Analyse croisée avec le syndrome de Diogène
Deux visages de l’isolement social
L’isolement social est un symptôme que l’on retrouve dans plusieurs troubles psychiques ou comportements marginaux. Parmi eux, deux figures retiennent particulièrement l’attention des spécialistes : le Hikikomori, un phénomène initialement japonais touchant principalement les jeunes adultes, et le syndrome de Diogène, davantage associé aux personnes âgées vivant dans l’insalubrité et le retrait social.
Si ces deux réalités semblent opposées au premier regard, elles partagent des points communs troublants : un isolement complet, une rupture avec les normes sociales et souvent des conditions de vie dégradées. Leur compréhension croisée permet d’enrichir notre approche de la santé mentale contemporaine, et surtout d'apporter des solutions mieux adaptées à ceux qui en souffrent.
Qu’est-ce que le Hikikomori ?
Le terme Hikikomori (ひきこもり) signifie littéralement se retirer, se cloîtrer. Ce phénomène a été observé pour la première fois au Japon dans les années 1990. Il décrit des individus, souvent jeunes, qui choisissent volontairement de se couper du monde extérieur pendant des mois, voire des années.
Ils vivent reclus dans leur chambre, sans emploi, sans études, sans interaction sociale autre que parfois virtuelle. Le Ministère de la Santé japonais a défini le Hikikomori comme un état de retrait social sévère durant au moins six mois chez une personne n’ayant ni emploi ni relations extérieures significatives.
Les chiffres
Selon une enquête publiée par le gouvernement japonais en 2019, environ 613 000 personnes âgées de 40 à 64 ans seraient concernées par le Hikikomori, en plus de plusieurs centaines de milliers d’adolescents et jeunes adultes. En France, même si aucune étude nationale exhaustive n’a encore été menée, plusieurs rapports psychiatriques et travaux universitaires (notamment ceux de Muriel Jolivet ou Alain Ehrenberg) estiment que le phénomène prend de l’ampleur, surtout depuis la crise sanitaire liée au Covid-19.
Une souffrance silencieuse et contemporaine
Contrairement aux idées reçues, le Hikikomori ne relève pas toujours d’un trouble psychiatrique classique. Dans de nombreux cas, il s’agit davantage d’une réponse identitaire et protestataire face à une société perçue comme trop compétitive, intrusive ou déshumanisante.
Motifs de retrait
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Phobie sociale (trouble anxieux social)
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Burn-out scolaire ou professionnel
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Hyperconnexion et refuge numérique
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Trouble du spectre autistique ou schizophrénie à forme atténuée
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Pressions parentales ou culturelles
Le Hikikomori peut s’accompagner d’anxiété sévère, de troubles du sommeil, d’addictions numériques, mais pas nécessairement de délires ou d'hallucinations comme dans d'autres pathologies psychiatriques.
Syndrome de Diogène : isolement, accumulation et négligence extrême
À l’opposé démographique, le syndrome de Diogène touche majoritairement les personnes âgées. Il se manifeste par :
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un isolement total,
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un refus d’aide extérieure,
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une négligence extrême de l’hygiène corporelle et domestique,
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et souvent un comportement d’accumulation compulsive (syllogomanie).
Selon les données de l’INSEE croisées avec les études hospitalières, ce syndrome reste difficile à quantifier car peu diagnostiqué. Il est souvent détecté à l’occasion d’un décès, d’un signalement par un voisin ou lors d’une hospitalisation.
Points communs : le fil rouge de l’isolement
1. Isolement volontaire mais pathologique
Dans les deux cas, l’isolement est choisi mais guidé par une souffrance profonde. Le Hikikomori rejette les contraintes sociales modernes. Le Diogène, lui, se retranche dans son monde, parfois dans le cadre de troubles neurodégénératifs (comme l’Alzheimer) ou d’une dépression masquée.
2. Rejet du monde extérieur
Hikikomori et Diogène rejettent tous deux le monde extérieur. L’un en se barricadant dans une chambre, l’autre en refusant les soins, les contacts ou même les règles élémentaires de propreté. Ce rejet des normes sociales, qu’il soit conscient ou non, est central.
3. Le logement comme reflet de l’état intérieur
Dans les deux cas, l’habitat devient le miroir de la détresse : sombre, sale, encombré, hors du temps. L’insalubrité n’est pas systématique chez les Hikikomori, mais elle peut apparaître par négligence prolongée. Chez les Diogènes, elle est presque toujours présente.
Des différences essentielles
Hikikomori : une protestation silencieuse
Le repli du Hikikomori est identitaire, culturel, sociologique. Il peut relever d’un malaise générationnel, d’une crise existentielle, d’un désaccord avec les valeurs dominantes (productivité, compétition, réseaux sociaux, performance).
C’est un acte de désengagement. Certains chercheurs le comparent à un burn-out sociétal. La psychiatre Saitō Tamaki, référence mondiale sur le sujet, y voit une forme de névrose de civilisation.
Diogène : une désintégration de soi
À l’inverse, le syndrome de Diogène résulte souvent de troubles cognitifs, d’une désorganisation psychique avancée. Ce n’est pas une protestation, mais une perte de contrôle, une sorte de renoncement au monde comme à soi-même.
Un accompagnement difficile mais indispensable
Pour les Hikikomori : l’importance du lien progressif
Sortir un Hikikomori de son isolement nécessite une approche très progressive, sans jugement. Les interventions brutales peuvent aggraver la situation. Il faut :
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favoriser une reconnexion numérique positive, par exemple via des forums de soutien ;
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proposer des suivis psychiatriques ou psychologiques à distance ;
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et dans certains cas, utiliser des équipes mobiles spécialisées.
Des expériences pilotes en France, inspirées du modèle japonais (comme le dispositif du CHU de Montpellier), commencent à voir le jour.
Pour les Diogènes : une prise en charge en réseau
Les personnes atteintes du syndrome de Diogène nécessitent une approche multidisciplinaire :
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médecins,
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assistants sociaux,
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services d’hygiène de la ville,
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entreprises spécialisées dans le nettoyage et la désinfection.
Les interventions doivent allier respect de la personne, restauration du logement, et accompagnement médico-social.
Le rôle de la famille, des voisins et des professionnels
Souvent, ce sont les proches ou les voisins qui donnent l’alerte. Ils doivent être sensibilisés pour ne pas culpabiliser, et pour comprendre que le retrait n’est pas une paresse ou une folie, mais un cri silencieux.
Les professionnels du nettoyage comme ceux de la santé doivent travailler ensemble pour garantir un retour à la dignité et à la sécurité, tout en évitant la stigmatisation.
Enjeux sociétaux et éthiques
Ces deux réalités posent des questions fondamentales à notre société :
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Pourquoi de plus en plus de jeunes se retirent du monde ?
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Pourquoi la vieillesse se vit-elle parfois dans un abandon extrême ?
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Comment pouvons-nous réinventer un lien social respectueux des différences ?
Le défi est collectif. Il dépasse la seule question du nettoyage ou de l'assistance sociale. Il engage notre vision de la vulnérabilité, de la norme, et de la solidarité.
Nettoyage après un cas de Hikikomori : une étape sensible à forte dimension psychologique
Le repli social extrême que représente le Hikikomori s’accompagne souvent d’un abandon progressif de l’entretien du logement, surtout lorsqu’il s’installe sur plusieurs mois ou années. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas un simple désordre : dans certains cas, les conditions de vie deviennent véritablement insalubres, au point de présenter un risque pour la santé physique de l’occupant ou de ses proches.
Un logement en miroir d’une souffrance intérieure
Quand une personne reste enfermée dans sa chambre pendant des mois, sans interaction ni stimulation extérieure, son rapport à l’hygiène, à l’espace et au rythme de vie s’altère profondément. Il n’est pas rare de constater :
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une accumulation de déchets alimentaires ou d’emballages ;
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un manque d’hygiène corporelle qui se reflète dans l’environnement (draps souillés, vêtements empilés) ;
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une absence totale de nettoyage des sanitaires, de la cuisine ou des sols ;
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parfois même des nids d’insectes ou de rongeurs en cas d’abandon prolongé.
Il ne s’agit pas de négligence volontaire mais d’un détachement progressif du réel, typique de certains états anxieux ou dépressifs profonds.
Intervenir sans brutalité : une condition essentielle à la réussite
Contrairement à d’autres types de nettoyage (comme celui effectué après un sinistre ou un décès), le nettoyage post-Hikikomori ne peut être réduit à une opération logistique. C’est une étape symbolique dans le parcours de réinsertion de la personne.
Éléments essentiels d’une intervention réussie :
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Préparation psychologique : si la personne est encore sur place, elle doit être associée aux décisions, dans la mesure de ses capacités. Un nettoyage imposé sans consentement peut être vécu comme une agression.
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Travail en partenariat avec les soignants : dans les cas suivis par un psychiatre ou une équipe médico-sociale, le nettoyage doit être intégré dans une démarche thérapeutique globale.
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Respect de l’intimité : certains objets, même dégradés, peuvent avoir une valeur symbolique pour la personne. Il est fondamental de demander l’avis du résident avant de jeter quoi que ce soit.
Nettoyer, désinfecter, mais aussi restaurer un cadre de vie
Le nettoyage post-Hikikomori doit aller au-delà du simple ménage. Il s'agit de restaurer un lieu de vie sain, digne et réintégrable, en tenant compte :
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des risques biologiques (présence possible de moisissures, bactéries, nuisibles) ;
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de la désinfection des surfaces souvent restées des mois sans entretien ;
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du tri des déchets accumulés, parfois en très grande quantité ;
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du nettoyage des textiles, ou dans certains cas, de leur remplacement complet (matelas, rideaux, canapés) ;
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de la réorganisation de l’espace pour redonner au lieu une fonction et une lisibilité.
L’objectif n’est pas uniquement sanitaire, il est aussi psychologique : faire en sorte que la personne puisse à nouveau s’approprier son espace, sans honte ni rejet.
Une étape vers le retour au lien social
Dans certains cas, un nettoyage réussi peut être le déclencheur d’un début de réintégration. Lorsqu’un environnement devient vivable, structuré, accueillant, il peut aider à relancer une dynamique personnelle. C’est souvent un signal positif envoyé à la personne, comme pour lui dire : tu mérites de vivre dans un endroit propre, tu n’es pas condamné à t’effacer.
Bien sûr, le nettoyage seul ne règle pas tout. Mais lorsqu’il est réalisé avec respect, bienveillance et en lien avec les professionnels de santé, il s’inscrit dans un dispositif global de réhabilitation.
Reconnaître, comprendre, agir
Hikikomori et Diogène, malgré leurs différences d'âge, de culture et de symptômes, traduisent tous deux une rupture profonde avec la société. Ils ne sont pas des pathologies classiques, mais des signaux d’alarme de sociétés qui peinent à accueillir la fragilité.
Chez Nova Clean, nous croyons qu’il faut voir au-delà de la saleté ou du désordre. Chaque intervention est d’abord une rencontre humaine. Reconnaître la complexité du Hikikomori ou du Diogène, c’est poser un regard plus large sur l’humain, ses souffrances et ses besoins.
Le nettoyage après un épisode de Hikikomori est bien plus qu’une tâche ménagère. C’est une intervention délicate et humaine, qui requiert de la compréhension, du tact et de la patience. Elle peut constituer un élément pivot dans le parcours de soin ou de réinsertion d’une personne isolée.
Chez Nova Clean, même si l’intervention technique est notre spécialité, nous savons que la qualité humaine de nos agents fait souvent toute la différence. Car derrière chaque appartement fermé, chaque chambre encombrée, il y a une histoire de souffrance, de solitude… et parfois d’espoir.
Sources
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Tamaki Saitō, Hikikomori: Adolescence sans fin, 2013
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Muriel Jolivet, Le Japon au-delà du néant, 2001
-
INSEE, données sociales sur l’isolement des jeunes adultes et personnes âgées, 2023
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Revue Santé mentale, articles sur le syndrome de Diogène, 2021
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CHU de Montpellier, protocole expérimental sur le Hikikomori, rapport 2022
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EHESP (École des Hautes Études en Santé Publique), Prise en charge des syndromes de négligence extrême, 2020
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